COMITY

The Journey Is Over Now // wildemusic.tumblr.com

Sorti sur un des labels les plus sexy du moment (Throatruiner Records), “The Journey Is Over Now“ n’en finit pas de faire vriller la tête. Exigeant, le nouvel album de Comity est une perle d’intelligence, où la récompense rime avec effort, certes, mais avec jouissance surtout. L’oeuvre des parisiens véhicule des émotions fortes, sincères, qui font foutrement du bien. Groupe d’exception dans l’Hexagone, que ce soit par sa franchise, sa classe ou encore sa technique suave (pour avoir le Swing, ils l’ont…), le quartette répond à nos questions.  

J’ai trouvé “The Journey Is Over Now“ plus complexe que vos précédentes sorties, pas tant au niveau technique, mais dans le sens où il se complète au fur et à mesure que l’album évolue. Comme si c’était un système où aucun élément/plan/note n’avait de sens sans les autres. C’était déjà le cas sur vos enregistrements précédents, mais ça me semble jouer un rôle plus important encore ici…
Effectivement, lorsque nous composons, nous ne laissons rien au hasard. Nous réfléchissons chaque enchainement et cherchons vraiment à faire en sorte que des plans très éloignés au niveau des sonorités et du rythme puissent se compléter et être indispensable l’un pour l’autre. Nous voulons que notre musique, pour l’auditeur, s’écoute comme une “histoire“.

Du coup, pour ce qui est de la composition, quelle place laissez-vous aux jams ?
Nous “jamons“ régulièrement certains riffs que l’un ou l’autre amène, ce sont ces moments-là qui permettent de voir comment on pourrait faire sonner tel ou tel plan. Il peut nous arriver de faire tourner parfois pendant une heure un même plan, qui évoluera au fil de l’impro. Il arrive souvent que des jams permettent au groupe de peaufiner sa partie. Il ne faut pas oublier que pour nous, faire de la musique ensemble est un vrai plaisir. Nous ne voulons pas devenir des stars, nous voulons juste faire de la musique tous les quatre, tout simplement. Les CDs et concerts ne sont qu’une concrétisation, importante et jouissive certes, mais pas indispensables. Le jour où nous ne nous éclaterons plus en répétition, à composer et à jamer, nous arrêterons.

Pouvez-vous également nous dire quelques mots sur l’enregistrement de l’album ? Comment se sont passées les choses avec Amaury Sauvé ? Quel rôle a-t-il joué dans votre son ?
Nous sommes très méticuleux lorsqu’il s’agit de choisir et de régler notre matériel. Lorsque nous sommes en répétition, nous attachons beaucoup d’importance à la manière dont vont sonner nos guitares, la basse, la batterie. Du coup, lorsque la composition de l’album était terminée nous avons décidé de travailler avec des ingés son qui étaient capable de faire ressortir ce son que nous travaillons. Sylvain Biguet a chapeauté cette préparation. En venant nous écouter en répétition (même si on se connait depuis très longtemps), il avait déjà choisi les micros qu’il utiliserait, leur placement, tout ça avant notre arrivée en studio chez Amaury. Sylvain était présent durant les premiers jours de l’enregistrement aux côtés d’Amaury. C’est une vraie collaboration qu’il y a eu entre eux, ils se sont réellement unis pour faire ressortir le meilleur de nos amplis. Par la suite Amaury a assuré l’enregistrement, les placements du morceau acoustique ; il a vraiment bossé comme un acharné pendant 9 jours, presque jour et nuit… Nous voulions que notre album sonne comme nous sonnons en live, et nous ne sommes pas déçus du résultat.

Votre son est d’ailleurs devenu plus organique encore. Ce côté vigousse, aiguisé, vivant au niveau de la production, c’est quelque chose que vous souhaitiez consciemment dès le départ ?
Absolument. Comme je viens de l’expliquer, nous y attachons beaucoup d’importance. Le choix du matériel, son réglage, puis forcément le matériel pour nous enregistrer et les ingés son. Ce côté organique, nature était notre objectif depuis le départ.
Vous sortez The Journey Is Over Now sur Throatruinner Records. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la collaboration ? Vous avez du beaucoup négocier avec Matthias pour aussi pouvoir le sortir en CD ? (rires)
Les rapports avec Matthias sont très simples et sains. Il s’est réellement investi dans notre projet. Il est venu nous voir en studio chez Amaury, a trouvé une coproduction en Angleterre en introduisant dans cette production Enjoyment Records. Lorsque le master de l’album a été dispo il a tout de suite lancé son circuit promo et pour l’instant nous sommes vraiment très contents de bosser avec lui. Pour ce qui est des négociations, il n’y en a pas eu. Nous voulions sortir un double vinyle + cd et avons été clairs dès le début. Même si nous avions conscience que ce genre d’objet était cher à produire. Il y a donc eu un partage des frais entre Throatruiner, Enjoyment, et Labour In Vain, notre association. Depuis quelques jours, il y a la version CD seul qui est dispo et qui a été travaillée sur le même principe.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la pochette ? Et pourquoi avoir opté pour le noir et blanc pour une troisième fois consécutive ?
Nous avons voulu traduire l’histoire de notre album en image. Les photos anciennes de marins, et de navires collaient parfaitement. Et comme elles sont anciennes, elle sont en noir et blanc, tout simplement.

Un des plans que j’ai préféré est le passage calme à 3 minutes de la fin du disque. Pouvez-vous nous dire quelques mots à son sujet ?
Ce passage est joué sur une seul des deux guitares, il annonce tout simplement la fin de l’histoire en présentant le thème du dernier riff où s’entremêlent une dernière fois voix lead et chœurs. Nous avons pensé que le choix d’un petit passage simple et léger permettait aussi de rendre plus massif le dernier bloc.

Le disque se termine un peu comme il commence : quelques cris et des larsens. C’était une manière pour vous de plus clairement poser les frontières (début et fin) de votre création ?
On voulait juste boucler la boucle. Le disque commence comme il finit. L’album décrit un voyage dont l’arrivée ramène au point de départ. C’était une bonne manière de le transcrire en musique.

Vous disiez dans une interview que notre nature consiste à vivre et non simplement exister. Pensez-vous donc que des éléments routinisateurs, tels que maintenus par certains dispositifs du mode de production capitaliste, sont en train de nous dénaturer ?
L’idée n’est pas de nous, elle a longuement été développée par des penseurs. Elle n’est pas ancrée dans une époque et cet état de fait n’a pas de variable due à un mode de vie ou au système qui nous régit dans l’instant. Notre nature est la vie, simplement, sans but excepté celui de faire perdurer notre espèce sans pousser la réflexion plus avant. La réponse est plus dans l’intime conviction, dans les actes, essayer de dépasser notre nature, se sentir autre chose que juste “vivant“.

François, tu as aussi dis dans une interview que tu vois dieu comme une force créatrice inconsciente qui disparaîtra avec tout le reste et qu’on ne sait tout simplement pas pourquoi on est là. Vois-tu ce que vous faites avec Comity comme une manière non seulement de prôner, mais de confronter ? En d’autres termes, dans quelle mesure penses-tu qu’il est important de vraiment s’opposer (notamment par le biais de supports artistiques) à des mouvements qui prônent des certitudes, des dogmes (religions, Etat, etc.) ? Et quelle est la responsabilité de l’artiste de ce côté-là ?
Pour moi, l’artiste n’a de responsabilités que celles qu’il se donne. Et je trouve prétentieux de se croire investi d’une responsabilité envers son public, comme si l’artiste avait un pouvoir de persuasion autre que celle qui lui est propre. Avec Comity, on ne s’oppose directement à aucune idée, dogme ou religion. Je pense juste en tant qu’individu que ma vision est la bonne, comme tout un chacun. S’opposer à des certitudes revient trop souvent à imposer les siennes. Je ne suis pas croyant dans le sens religieux du terme. Si on détourne le mot “dieu“ de son sens religieux alors on en fait juste une force créatrice inconsciente d’elle-même et de sa création. “Dieu est nature de toute chose“. Ce n’est pas moi qui en suis venu à cette conclusion, beaucoup d’écrits se recoupent sur cette idée, en tout cas dans ceux que je lis.

Au niveau des thèmes abordés, justement, il y a une continuité avec You Left Us Here… Est-ce que vous vous étiez posé avant l’écriture de l’EP et avez décidé d’aborder une thématique qui se déploierait sur plusieurs sorties ? Si oui, pourquoi ? Si non, qu’est-ce qui vous a malgré tout poussé à continuer à explorer ces thèmes ?
Ce n’était pas prémédité. Le texte de “you left us here“ était plus la photographie d’un moment clé, comme “Le cri“ de Munch. Il n’y avait pas de mouvement, l’idée était figée dans l’instant. J’ai voulu simplement écrire la suite, aussi bien au niveau des idées que de l’histoire. “The journey is over now” développe ce qui était suggéré dans “you left us here” pour lui donner du mouvement avec une métaphore et des mots simples. Je trouve ça beaucoup plus fort quand les phrases sont simples. Ca suggère beaucoup plus de choses, donne plus de niveaux de lecture. En fait le texte est souvent long au départ et j’épure au maximum pour essayer d’en garder la quintessence, je vire les choses trop directes ou qui tendent à donner une explication. De toute façon, depuis le début du groupe, les thèmes sont les mêmes, les influences ne changent pas tellement non plus, elles ont juste tendance à s’élargir, ce qui est logique.

Au vu de vos nombreuses influences littéraires et philosophiques (F. J. Farmer, E. E. Cummings, Schopenhauer, Nietzsche, etc.) comment structurez-vous votre musique autour de vos idées (littéraires et philosophiques, justement) et/ou vice versa ?
Ces idées nourrissent notre musique de façon générale. On ne la structure pas vraiment autour de ça, c’est plus viscéral, elle vient sous cette forme naturellement. C’est plutôt l’inverse qui se produit: c’est toujours intéressant de chercher à comprendre les choses, de leur donner un sens. Pourquoi faire cette musique? Qu’est-ce qu’elle exprime? Qu’est-ce qu’elle représente? Qu’apporte-t-elle au niveau individuel? Ce sont des questions qu’on se pose et on va chercher une partie des réponses chez ces auteurs.

D’ailleurs, je perçois votre musique (au niveau du ressenti de l’auditeur) comme quelque chose d’axée sur l’émotionnel, le spontané, la pulsion, loin du cartésianisme, du rationnel….
C’est exactement ce qu’on essaie de faire passer à travers notre musique. Lorsque nous composons nous avons toujours pour objectif de faire passer un maximum de sensations, d’émotions. Donc que tu perçoives comme cela notre musique nous fait vraiment plaisir, et nous donne l’impression d’être compris !

Vous cherchez à chaque fois à impliquer le plus possible l’auditeur (avec “The Deus Ex-Machina“ vous aviez d’ailleurs affiché clairement son rôle directe). Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette volonté de votre part ?
On pense que l’auditeur est partie prenante de la musique. Il a autant un rôle d’acteur que nous. Je pense qu’il faut faire preuve d’écoute “active” pour apprécier un groupe comme le nôtre. On met juste un point d’honneur à ne pas insulter l’intelligence des gens.

Vos créations sont vraiment complexes, en un sens peu accessibles. Percevez-vous l’art comme quelque chose qui doit nécessairement être très exigeant pour être de qualité ?
Non pas forcément, il doit surtout être sincère, honnête. Certaines œuvres dans différents domaines artistique peuvent paraître parfois simples au premier abord puis plus complexe lorsqu’on a les explications de l’artiste. Il y a aussi plusieurs manières d’aborder une œuvre, lorsque l’artiste créé et diffuse ses œuvres il donne aussi le droit au publique de comprendre, d’aborder son œuvre comme il l’entend et pas forcément comme il l’avait créée.

Dans la même idée, diriez-vous que l’art relève plutôt de la simple contemplation esthétique ou surtout de la démarche impliquée ?
Je pense que la démarche impliquée peut aussi justifier une simple contemplation esthétique. Je m’explique : chaque personne a sa personnalité, sa sensibilité, sa manière de voir les choses, et de voir ce qu’il veut dans ce qu’il regarde ou écoute. Certains arts comme la musique indienne par exemple sont basés sur la relaxation. Il y a certains Ragg qui sont joués pour que l’auditeur se pose, se relaxe et voyage. Ça ne veut pas dire que ces œuvres sont simples à composer et jouer, mais tout simplement créées pour être écoutées simplement. Les monochromes d’artistes peintre, comme Klein par exemple, sont parfois simple à regarder, mais lorsque l’on connait la démarche de l’artiste cette simplicité prend tout son sens dans la recherche qu’il a pu faire dans la création de ses pigments ou même dans l’ensemble de ses œuvres sur une période ou toute sa vie. Pour revenir à ta question, je pense que l’un peut justifier l’autre et ce, dans les deux sens.

D’ailleurs, quels sont les artistes qui vous inspirent (au passé comme au présent) le plus et pourquoi ?
Je dirai qu’au fil de notre vie nous avons écouté certains groupes à certaines périodes et la digestion de ces écoutes, de ces moments de plaisir doivent forcément ressortir lorsque nous créons. En revanche, lorsque nous composons, dès qu’un plan nous fait penser à quelque chose qu’on connait (en dehors des guitares saturées et des voix criées bien sûr), nous essayons de nous en éloigner le plus possible.

Certains d’entre vous avez-vous des formations musicales « académiques » ?
Certains d’entre nous ont fait le conservatoire, des écoles de musique…

Vous êtes en train de monter une tournée pour The Journey Is Over Now ?
Pour l’instant nous organisons quelques week-ends de trois jours un peu partout en France. Fin mai 2012, il y aura une petite tournée française et j’espère qu’après l’été nous pourrons faire une tournée européenne. Nous aimons vraiment tourner et jouer partout, rencontrer du monde, notre seul problème maintenant est l’organisation avec nos différents boulots… Malheureusement, nous serons certainement contraints d’en faire moins que ce que nous souhaitons. Restez connectés avec toutes nos infos via notre site www.comity.fr, nous y mettons tout.

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